Définition et étymologie du concept d’addiction
L’addictologie est l’étude des addictions, c’est-à-dire du rapport pathologique qu’un sujet entretient avec une substance ou un comportement. Cette nouvelle discipline vise à appréhender dans un cadre commun les mouvements entraînant un rapport d’abus ou de dépendance. L’addiction se rapporte autant à l’usage de produits qu’à des conduites répétitives.
Elle est une caractéristique comportementale qui se reconnaît à une envie constante et irrépressible, en dépit de la motivation et des efforts du sujet pour y échapper. Le sujet se livre à des conduites dites « addictives », et ceci souvent malgré la conscience aiguë des risques d’abus et de dépendance.
Le terme d’addiction présente l’avantage de proposer un déplacement du toxique, c’est-à-dire du produit consommé, vers le comportement lui-même, qu’il s’agisse d’un comportement de consommation de substance psychoactive (produit agissant sur le psychisme, en modifiant l’activité mentale, les sensations ou le comportement) ou d’une addiction comportementale.
Les addictions à une substance psychoactive concernent les substances licites (tabac, alcool, médicaments…) ainsi que les substances illicites (cannabis, opiacés, cocaïne, amphétamines, héroïne…).
Les addictions comportementales désignent quant à elles certains troubles du comportement alimentaire, le jeu pathologique, les achats compulsifs, l’utilisation problématique d’Internet ou des jeux vidéo, le surentraînement sportif, les addictions sexuelles ou au travail, etc…
Nous constatons en effet que le processus addictif observe un déroulement assez standardisé, que ce soit au niveau de la séquence comportementale de l’agir addictif : angoisse de vide, état de manque avec besoin impérieux, mise en place d’un stratagème, incapacité à arrêter le comportement, passage à l’acte ; ou au niveau de son inscription dans l’histoire de la personne : consommation satisfaisante et contrôlée dans un premier temps, centrée sur la recherche de sensations jusqu’à la perte complète du contrôle.
Point de départ de la pathologie addictive
Les conduites addictives partagent les mêmes facteurs de vulnérabilité. L’émergence d’une conduite addictive se situe à l’interaction de trois facteurs : l’individu, son environnement socio-culturel et l’objet de la dépendance. L’existence de points communs entre les différentes dépendances fait que les sujets peuvent passer d’un objet d’addiction à un autre au cours de leur vie, avec parfois une sorte d’auto-substitution d’un produit par un autre. On peut donc imaginer la rencontre d’un sujet vulnérable vis-à-vis des addictions, avec un objet potentiel de dépendance quel que soit cet objet. Ainsi, un sujet ayant eu une dépendance ancienne à l’alcool, peut par exemple développer ultérieurement une dépendance aux jeux de hasard et d’argent, ou un ancien dépendant aux opiacés évoluer vers une dépendance à l’alcool, d’autant plus que l’alcool est très accessible, disponible, légal et socialement plus accepté.
Les facteurs de risque
Le recours à la solution addictive représente un moyen pour le sujet de résoudre un problème, de dépasser une inhibition, d’accéder à une forme de plénitude, etc.
Le paradoxe de la toxicomanie est d’osciller en permanence entre la recherche d’une sensation totale, extrême, indépassable (prise de risque), et une inscription dans une forme de routine, avec une conduite répétable à l’infini, rassurante car prévisible dans ses effets. L’héroïnomane, identifié dans les représentations populaires comme l’incarnation parfaite du marginal transgressif, adopte finalement un comportement totalement ritualisé, où toute la vie est rythmée par l’approvisionnement, le conditionnement, les prises…Le joueur addict aux jeux vidéo, qui donne l’impression de fuir tout engagement ou prise de risque, est en réalité dans une quête grandiose de reconnaissance, cherchant à expérimenter des sensations fortes dans son monde virtuel.
Certains sujets vivent d’une manière risquée, pratiquent le plus souvent des activités sportives très physiques (plongée, saut en parachute, escalade, saut à l’élastique…), jouent de manière compulsive, sans contrôle et notion de risque. La prise de drogue apparaît comme une tentative à ressentir de nouvelles sensations, de passer à côté de la mort (l’ordalie), de se frotter au divin et à l’au-delà. Certaines pratiques sexuelles revêtent également souvent la forme d’une prise de risque (rapports non protégés, partenaires multiples…).
A côté de cette dimension de recherche de sensations et de stimulations, une autre fonction de la conduite addictive est la recherche de l’anesthésie, tant sensorielle, émotionnelle, que cognitive, et de l’oubli. Suivant le type d’addiction ou de personnalité, ce sera plutôt tel axe qui sera prévalent, mais les deux fonctions peuvent coexister chez un même sujet et pour une même conduite.
Facteurs de vulnérabilité liés à la personnalité
Les assises narcissiques (capital de sécurité et de confiance) se constituent très tôt dans le cadre des interactions les plus précoces, et en particulier avec la mère. Quand les interactions sont dysfonctionnelles et n’apportent pas un ancrage affectif sécure et stable, les sujets ne vont pas pouvoir se constituer un socle narcissique solide. Les relations avec l’autre seront toujours empreintes d’une recherche de complétude et les vicissitudes des rapports humains seront vécues sur un mode d’abandon (relations dites anaclitiques). On retrouve d’ailleurs chez nombre de toxicomanes une succession d’épisodes de placements-rejets-reprises qui conduisent à des perturbations sévères de ce que Winnicott qualifiait de « sentiment continu d’exister ».
Facteurs déclenchants
Les bouleversements pubertaires de l’adolescence obligent les adolescents à reconstituer une image de leurs corps dans toutes ses dimensions (physique, libidinale et symbolique) lui permettant d’assumer ses propres pensées, désirs et actions. L’abandon du statut de l’enfance et des sentiments de toute puissance et de complétude imaginaire qui la caractérise, à un moment où se conflictualisent les liens de dépendance, représente une période charnière pour l’adolescent, et nécessite l’acquisition préalable d’un bon équilibre narcissique. C’est le deuxième temps de la phase de séparation-individuation.
La rencontre avec l’objet de l’addiction paraît être pour le sujet une solution de dégagement d’un processus impossible pour lui. Le recours au comportement et aux limites du corps devient pour les adolescents une façon de se soustraire à un vécu d’emprise mentale dans leurs relations à ceux qui les entourent, une façon aussi de contrer l’angoisse insupportable de l’impermanence du lien (la drogue est ainsi un objet toujours satisfaisant et sécurisant).
C’est dans cette mesure que la solution addictive peut être resituée comme une tentative paradoxale de survie psychique, un compromis acrobatique entre revendication d’autonomie et nécessité de l’esclavage de la dépendance, au prix d’un déni du vécu de celle-ci.
Facteurs de vulnérabilité environnementaux
Le milieu familial va profondément influencer les consommations futures en leur conférant un statut de convivialité, d’intégration, de maturité : c’est notamment vrai pour l’alcool avec les fêtes familiales.
De plus, des études récentes ont montré que le choix addictif se faisait nécessairement après que trois événements se soient déroulés en cascade :
- Une exposition : dépendante de la quantité de produit circulant
- Une rencontre avec le produit : place centrale de l’image, de la culture et des valeurs véhiculées
- Un engagement dans un processus addictif, témoin de la vulnérabilité particulière du sujet
Un message de prévention générale, s’appuyant sur la prise de risque et réaffirmant l’interdit, s’avère souvent être incitatif chez un jeune en recherche de sensations.
Les rapports entre un individu et son environnement social sont éminemment complexes et doivent nous inciter à éviter les ingérences brutales, qui méconnaissent le sens de l’agir addictif dans sa dimension personnelle intime comme dans sa dimension relationnelle.
En guise de conclusion
L’approche de l’addiction ne peut se réduire à un seul paradigme, qu’il soit scientifique, social, moral ou psychologique. Il mérite d’être analysé et réinterprété en permanence pour intégrer les nouveaux savoirs médicaux, les évolutions éthiques, les transformations sociales, etc…C’est ce qui permettra d’optimiser la prise en charge des patients souffrant d’addiction.