Illustration: L’accompagnement au procès suite à un attentat

Le procès suite à un attentat est une épreuve périlleuse, anxiogène et empreinte de mille et une questions qui hantent les victimes. Une véritable préparation au procès permet de mieux ajuster demandes et réponses possibles. Elle doit être un travail de fond sur les attentes, les “mythes” qui sont attachés au procès et notamment l’illusion qu’il va tout réparer. Des victimes vivent dans l’attente d’un procès libérateur, ultime étape de leurs souffrances. Elles en attendent une réparation qu’elles savent plus ou moins impossible mais qu’elles espèrent toujours. Il est essentiel que la victime participe de manière active au procès afin qu’elle se reconstitue comme sujet. Le procès a été conçu pour être cathartique.

De facto, le combat judiciaire peut être un moyen de déplacer le conflit interne sur la scène extérieure et ainsi, contribuer à entraver le processus thérapeutique. De l’aveu même de certaines victimes, la longue attente du procès a été un moyen de se dérober au véritable travail psychique. La victime attend de la procédure judiciaire, une sanction des auteurs et une reconnaissance de la souffrance subie. Cette reconnaissance est favorisée par un passage d’un statut de témoin à un statut de victime et de sujet grâce à la constitution de partie civile qui ouvre à des droits. La justice a un pouvoir de réparation certain à condition de ne pas en attendre tout.

Dans la tourmente du procès

Lors d’un procès d’attentat, les victimes sont en prise à des affects violents qui ont parfois du mal à se dire : peurs, angoisses, haine, désespoir, culpabilité et honte sont inextricablement mêlés. Habituellement, le procès peut être réparateur, à condition que le ou les auteurs reconnaissent l’acte qu’ils ont commis. Le procès doit répondre à des questions essentielles posées par la victime : tout d’abord, “pourquoi ?”, et surtout “pourquoi moi ?”. Lors d’un procès, ces questions trouvent rarement quelques bribes de réponses. Les accusés peuvent opposer des dénégations, nier, rejeter parfois très durement toute culpabilité. En fait, les accusés peuvent dans le meilleur des cas reconnaître leur participation à un groupe d’action terroriste mais très souvent ils nient partiellement ou totalement toute responsabilité directe malgré des preuves tangibles. Les victimes ont beaucoup de mal à s’y retrouver entre les “faisceaux de preuves” et autres “éléments concordants” mettant en cause les accusés.

Pourtant, le procès est bien le lieu où doit se dire qui est victime et qui est coupable sous l’arbitrage d’un tiers, que doit être nommé l’acte, et différenciées responsabilité et culpabilité. Ainsi, la victime peut enfin entendre désigner le coupable, éventuellement taire sa propre culpabilité et exorciser les sentiments de vengeance qui l’ont soutenue jusque-là, la protégeant de l’angoisse dépressive. Or là, dans de telles conditions, comment ne pas s’identifier à l’agresseur et ne pas éprouver des moments de haine ? Bien des victimes lors de divers procès ont voulu lutter contre leur propre haine parce qu’elles étaient à même de l’identifier et de la verbaliser. D’autres n’ont eu que le recours des larmes et des sentiments de vengeance, simplement murmurés parce que “officiellement interdits d’expression”.

De façon générale, les victimes peuvent trouver un début d’apaisement lorsqu’elles ont pu témoigner à la barre, même lorsque certaines parties civiles ont directement interpellé les accusés et qu’ils ont refusé de répondre ou qu’ils ont tenté de se défendre par l’attaque. Nombres de victimes considèrent leurs propres témoignages comme illégitimes parce qu’ils “n’étaient pas suffisamment blessés en comparaison d’autres” et qu’il était honteux de parler de “leurs problèmes quotidiens” alors que d’autres avaient perdu leur enfant ou des membres de leur famille. Ce sentiment de honte peut être renforcé par la maladresse de ceux qui ont voulu imposer une hiérarchie dans les victimes en mettant en avant ceux qui étaient le plus gravement atteint.

Une fonction cathartique

Lors de procès, ces moments de témoignage, redoutés, longuement répétés, sont hautement cathartiques. Il y a un effet immédiat de régulation des émotions. Cela sert d’exutoire partiel mais n’a permis en aucun cas de régler les problèmes de fond. Certains sont venus explicitement chercher de l’aide pour mettre en mots ce qu’ils vivaient confusément et qu’ils souhaitaient restituer au public. Bien entendu, les sujets qui avaient entrepris un travail thérapeutique étaient moins dans l’éprouvé, étaient plus à même de prendre plus de recul avec cette réalité extérieure. Ils ont pu aussi relativiser la “mythique Justice” et l’autoriser à être défaillante.

Dans la scène du tribunal, les victimes peuvent attendre longtemps une hypothétique demande de pardon, l’expression de regrets ou de remords de la part des accusés. Ils ont fini par se résigner. Ce manque a empêché chez certains, la transformation de la colère en deuil et en douleur. La scène pénale n’a pu offrir un contenant suffisant à leurs sentiments de vengeance, à métaboliser leur haine. Le verdict a cependant contribué à apaiser ces sentiments. Généralement, en l’absence de reconnaissance par la justice, certaines victimes continuent à attribuer exclusivement leurs souffrances à des causes ou à des personnes extérieures et ne cherchent pas à s’impliquer dans un questionnement personnel.

Ainsi, si le parcours judiciaire a été particulièrement long et douloureux, si les accusés n’ont pas exprimé ce que les victimes attendaient, le procès a rempli tout de même partiellement sa fonction de mise en sens, de médiatisation sociale et d’apaisement. Bien sûr nombre de victimes restent déçues, insatisfaites, avec un sentiment profond d’incomplétude. Il est probable aussi que le procès dans sa forme actuelle est peu adapté, peu propice à réparer l’irréparable.

La vie après le procès : un voyage sans fin ?

Peut-être de nouveaux rituels sont-ils à réinventer, qui seraient porteurs de sens pour tous. Nous observons pratiquement toujours un temps dépressif consécutif au procès. Ce n’est pas obligatoirement négatif. Il est le temps nécessaire au sujet pour faire le deuil d’une réparation idéale et parfaite, de l’illusion d’une sanction qui viendrait effacer ou combler une perte trop immense. Le procès permet de remplir son office s’il n’est pas considéré seulement comme une fin en soi, mais s’il est avant tout l’occasion d’une ouverture au travail de deuil et de mémoire.

Réparer ou engager une thérapie n’est pas guérir. C’est retrouver le chemin de la vie, ne plus rien attendre de l’autre, redevenir tout simplement sujet de sa propre histoire. La condition en est de se détacher de la fascination du trauma, de l’impensable qu’il procure, de la tentation de s’accrocher au statut de victime. C’est à la fois en donnant un sens à l’événement, mais aussi en étant reconnues en tant que victimes par la collectivité, qu’elles parviendront à se dégager d’un statut de victime qui pourrait les assujettir.

Le temps du suivi

Au-delà de l’intervention immédiate, il sera parfois nécessaire de poursuivre la prise en charge. L’accompagnement psychologique est un second niveau d’intervention. C’est un temps d’écoute, d’évaluation et d’orientation qui doit permettre au sujet de bénéficier s’il le souhaite, d’une prise en charge psychothérapeutique. Au cours de l’accompagnement psychologique qui s’étend sur quelques entretiens, le psychologue établit un état des lieux des différents besoins du sujet et favorise l’émergence d’une demande de soin.

Particularité de la prise en charge psychothérapeutique

Il est important enfin d’énoncer quelques principes propres à la prise en charge psychothérapeutique de patients souffrant de psycho-traumatismes. Le traumatisé a réellement besoin d’empathie. Le thérapeute doit intervenir et participer au dialogue « maïeutique » qui aidera le patient à découvrir sa vérité. Il devra inciter le patient à se désengager de l’emprise du trauma, à ne pas continuer à subir son destin et à faire en sorte que cette expérience soit assimilée et vécue comme un souvenir appartenant pleinement à l’histoire du patient. Le trauma se caractérise par la confrontation à l’impensable. C’est la verbalisation de l’impensable qui permettra de penser à nouveau, d’extérioriser, de réduire et maîtriser ce qui a été vécu. C’est cette parole-là, inaugurant la survenue d’un langage qualitatif qui va conférer du sens et permettre de penser.

La thérapie post-traumatique ne consiste pas en une simple abrasion des symptômes : états dépressifs, anxiété massive, reviviscences envahissantes, évitements phobiques persistants. Il importe au contraire de leur donner un sens en établissant des liaisons psychiques, en insérant les représentations et les affects liés au trauma dans une configuration fantasmatique, sans obturer l’expression de la honte, la culpabilité, des sentiments d’abandon et d’angoisse, voire de la violence et la haine.

La répétition traumatique et son cortège de cauchemars, de reviviscences, de flash-back résistent aux verbalisations et aux interprétations. La scène traumatique est condensée sous forme d’images fortement investies. Le psychothérapeute se doit d’interpeller alors la capacité du sujet à dérouler les représentations superposées afin d’en atténuer la force et d’engager un travail de remémoration et de symbolisation. De cette façon, les reviviscences pourront alors se transformer en souvenirs intégrables.

De la même façon, le thérapeute peut favoriser le passage de cauchemars ou de rêves composés d’images ressenties, vécues, à des rêves racontés, aux représentations liées, qui signent la fin du syndrome de répétition. Les images répétitives sont largement empreintes d’angoisse de mort. En effet, le terrorisme confronte à la réalité de sa propre mort. Irreprésentable, la mort revient sans cesse dans les pensées et dans les rêves du sujet incapable d’élaborer le deuil dans de telles conditions : mort de soi-même, mort de ceux qui étaient présents au moment de l’attentat.

En guise de conclusion

La victime d’attentat terroriste réalise brutalement sa finitude et son impuissance. La culpabilité vient à “s’accrocher” à tout : ce qui a été fait, ce qui n’a pas été fait, ce qui aurait pu se faire. Le sentiment de culpabilité permet de redevenir sujet : “je suis coupable, mais je suis”. C’est bien la culpabilité qui ouvre à un travail personnel de réparation. Cette souffrance aiguë détermine les victimes à interroger le thérapeute sur la durée et la normalité de leurs réactions. Savoir, pour les victimes, est une tentative de maîtrise pour échapper à la désorganisation.

Aussi, faut-il prendre le temps d’authentifier les traumatismes réels subis antérieurement sans se laisser aveugler par l’événement traumatique présent. Il s’agit de prendre en compte les liens qui peuvent exister entre l’événement actuel et les traumas antérieurs, entre la scène traumatique et les scénarios fantasmatiques.

In fine, le travail de deuil peut être long et douloureux. Il suppose d’être en mesure de ne plus entretenir l’illusion d’un retour à un prétendu paradis perdu, mais au contraire d’élaborer la perte et la souffrance. Ce temps dépressif est donc un temps nécessaire d’élaboration et de réaménagement qui rend possible le retour à un certain plaisir de vivre. Il serait inadapté de le traiter exclusivement comme une pathologie dépressive. Avec le temps, la douleur, la dépression et la culpabilité finissent par s’estomper, reste un souvenir qui ne détruit plus.