Les attentats terroristes qui se sont produits en France ces dernières années constituent des violences qui ont fait irruption dans l’espace psychique collectif à un niveau national. Depuis le début de l’année 2015, leur brutalité a touché directement de très nombreux individus, tant ceux qui en ont réchappé que ceux qui y ont perdu l’un des leurs. Dans de telles circonstances, les interventions psychologiques d’urgence s’inscrivent dans un agir destiné à lutter contre les effets de choc et de sidération que cette violence extrême génère.
Aujourd’hui, on désigne comme victime toute personne qui subit un dommage dont l’existence est reconnue par autrui et dont elle n’est pas toujours consciente. Progressivement a été mis en place un système juridique et pénal qui fait valoir les droits à réparation de la victime. Après avoir acquis le droit d’être partie prenante au procès de son agresseur et d’obtenir des dommages et intérêts, la victime acquiert le droit à un conseil juridique et un soutien psychologique.
Les répercussions psychologiques sur les victimes de ces attentats ont révélé la nécessité d’une prise en compte rapide, voire immédiate de leur vécu traumatique. Un dispositif de soutien psychologique d’urgence sur le terrain et dans les jours qui suivent s’est avéré indispensable pour prévenir la survenue de séquelles post-traumatiques.
Qu’est-ce qu’un traumatisme psychique ?
Un événement extérieur, nommé « événement traumatique » va soumettre l’appareil psychique à une série de contraintes, qui peuvent ou non, être métabolisées. Si cela est impossible, il se produit un choc dans l’appareil psychique, c’est le traumatisme. On pourrait donc dire que le trauma n’est pas la réponse du psychisme à une situation particulière, mais sa non réponse, son blocage.
Dans cette perspective, ce qui fait trauma c’est « cette confrontation à quelque chose d’impensable, d’indicible », à cette inimaginable effraction d’un réel effrayant qui s’impose à soi. Le traumatisme psychique serait donc une expérience aiguë d’effraction psychique et de débordement des défenses du Moi.
Une telle expérience entraîne le plus souvent une réaction de stress intense. Cette contiguïté clinique entre stress et trauma a produit une certaine confusion entre les deux concepts. Il apparaît pourtant que ces deux phénomènes résultent de processus distincts. Si l’on peut graduer l’intensité d’un état de stress, en ce qui concerne le traumatisme, on se trouve devant un système quasiment binaire, il y a un avant trauma et un après, un point de bascule. On est traumatisé ou on ne l’est pas, on ne l’est pas à moitié.
De plus, la reviviscence est une sensation qui fait vivre le passé comme le présent. L’expérience clinique montre que ce souvenir obsédant est envahissant et vient prendre la place de la vie psychique. Une partie des changements de personnalité est à mettre sur le compte de cette occupation du champ psychique par la reviviscence. En outre, la situation traumatique va altérer le Soi, c’est-à-dire le rapport du sujet à lui-même. Ce processus psychopathologique peut alors donner lieu à des conduites délinquantes ou amplifier les conduites de retrait social et relationnel. Dans bien des cas, là où il y a trauma, c’est la vie sociale qui se trouve mise en péril.
Ainsi, l’intervention psychologique aura pour but de prévenir l’apparition et la pérennisation de ces situations qui engendrent de véritables états de détresse psychologique. Elle se découpe en deux temps : le temps de l’urgence et le temps du suivi.
Avec l’apport d’information sur ce qui leur est arrivé et particulièrement sur les manifestations symptomatiques apparues ou qui risquent d’apparaître par la suite, les victimes découvrent que ce qu’ils vivent est connu. L’effet de groupe favorise des « identifications restructurantes » par l’écoute des autres faisant part des mêmes éprouvés et des réactions similaires que les leurs. Cela leur permet de ne pas se sentir exclus et abandonnés et favorise un phénomène d’appartenance au groupe.
Il convient donc d’inviter les victimes à parler de leur expérience vécue sans leur donner d’autres consignes que de dire ce qu’ils ont envie de dire et de parler d’eux-mêmes, de ne pas craindre de parler directement de ce qu’ils ont ressenti plutôt que de « raconter » ce qu’ils ont vu.
S’il faut chercher à atténuer les sentiments néfastes tels que l’impuissance, l’échec ou la culpabilité on ne peut se substituer à la conscience de l’autre, il convient donc de laisser chacun gérer ses sentiments à sa façon et à son rythme.
Guérir l'invisible : les interventions psychologiques d’urgence
Elles se déroulent dans les premières heures qui suivent l’événement et tendent à limiter les effets de désorganisation psychique que celui-ci produit chez les victimes. Elles s’adressent aux sujets qui présentent des manifestations pathologiques immédiates.
Les interventions psychologiques immédiates
Au sortir de l’événement, on décrit des réactions de « stress dépassé » : sidération, agitation, fuite panique et comportement en pilotage automatique. Durant les premières vingt-quatre heures, on observe aussi chez les rescapés des troubles anxieux, parfois hystériques ou plus exceptionnellement confusionnels ou délirants. L’intensité de ces réactions peut aussi être liée à des facteurs de vulnérabilité individuels se rapportant à des expériences traumatiques antérieures. La violence d’un événement tel qu’un attentat désorganise Le fonctionnement psychique du sujet, le plongeant dans un chaos qui constitue parfois une désagrégation de ses enveloppes psychiques. Certains états psychiques qui apparaissent durant l’événement peuvent persister dans les heures qui suivent.
La spécificité des interventions immédiates
Ces interventions constituent une première action thérapeutique visant à prévenir ou tout au moins atténuer l’installation d’un état psycho-traumatique chronique.
Le soin psychique immédiat correspond à un moment d’accueil et d’étayage, il constitue un « holding » c’est-à-dire un véritable « portage » psychique, le sujet n’étant plus à même de se protéger des excitations externes auxquelles il est soumis.
Le soin psychologique immédiat aussi nommé « defusing » consiste à atténuer les effets du stress et de l’angoisse. Il permet aux victimes d’exprimer leurs sentiments d’impuissance et leur impression d’être sortis de l’humanité. En retrouvant un espace de parole, les victimes peuvent mettre un début d’ordre face au chaos qu’a entraîné l’attentat. Il est important, à cette étape de la prise en charge, de respecter les mécanismes de défense (clivage, identification projective, idéalisation) qu’elles ont mis en place et qui les protègent d’une désorganisation psychique plus importante.
Avant qu’ils regagnent leur domicile, il est nécessaire de s’assurer que les victimes peuvent se projeter dans un futur immédiat, retrouvant leurs repères spatio-temporels et un discours cohérent qui leur assurent une certaine autonomie psychique. Un rendez-vous leur est proposé dans les deux ou trois jours suivants avec l’intervenant qui vient de les prendre en charge.
Sur le plan contre-transférentiel, le psychologue est amené à se déprendre de fantasmes de réparation et de toute-puissance dans ces interventions immédiates et à se dégager de la fascination que peut provoquer l’écoute de récits d’horreur. Lors du récit de la scène traumatique, le psychologue peut être confronté à un excès d’angoisse dépressive.
Les interventions psychologiques post-immédiates
La période post-immédiate se situe approximativement du deuxième au trentième jour après l’événement, les soins psychiques qui y sont proposés peuvent être les premiers ou s’inscrire dans la suite des soins immédiats. Il s’agit d’entretiens collectifs ou individuels proposés aux rescapés, aux témoins, parfois aux proches des victimes. Si les interventions immédiates s’insèrent dans le cadre plus large des plans de secours d’urgence, les interventions psychologiques post-immédiates ont des modalités d’organisation autonome qui se situent dans une temporalité différente.
La clinique du post-immédiat
Cette période post-immédiate nécessite une « surveillance attentive et soutenue » des victimes. Il peut s’installer une période de latence d’une durée très variable, on observe des disparités très importantes d’un individu à l’autre. Pour les victimes, cette période est marquée par la fatigue, la nervosité, l’irritabilité, des troubles du sommeil et de l’endormissement. Des reviviscences diurnes et nocturnes de l’événement apparaissent sous forme d’hallucinations visuelles, auditives, olfactives et des réactions d’angoisse phobique surgissent face à des lieux ou situations rappelant l’événement.
Le débriefing psychologique collectif
Pratiqué dans les quarante-huit à soixante-douze heures après l’événement, il limite le risque d’apparition de comportements et de schémas cognitifs inadaptés. Cette technique initialement destinée aux sauveteurs a vu son champ progressivement s’élargir aux victimes, à qui elle donne l’opportunité de verbaliser leur expérience et de parler de leurs symptômes.
Le groupe de parole
Il est présenté comme une alternative au débriefing psychologique collectif lorsque celui-ci ne peut être mis en place. Ses indications en sont plus larges, elles comprennent les personnes impliquées dans l’événement qui ne forment pas un groupe constitué ou qui ne sont pas des victimes directes, mais des proches des victimes ou des témoins. Il repose sur la parole spontanée et répond aussi aux contre-indications du débriefing psychologique collectif. Un groupe de parole peut ainsi être proposé aux familles dont un membre est décédé dans l’attentat. La problématique liée au deuil brutal met en jeu des mécanismes psychiques spécifiques qui relèvent de la perte et de la séparation. Il nous semble important de les distinguer du processus traumatique dans lequel une « part de néant » risque de s’installer dans le psychisme conscient et inconscient des victimes.
En guise de conclusion
Les blessures psychiques consécutives à des actes de violence terroristes sont aujourd’hui reconnues et la nécessité d’une prise en charge psychologique est primordiale. Les psychologues et psychiatres intervenant dans les dispositifs d’urgence sont amenés à en percevoir les bienfaits, mais aussi les limites pour les victimes. Une attention particulière vis-à-vis des victimes doit pouvoir s’installer dans une continuité de plusieurs années, que celle-ci se mette en place dans le cadre d’un service hospitalier, en cabinet libéral ou dans le cadre associatif de l’aide aux victimes.
In fine, il apparaît essentiel de prendre en compte le point de vue des victimes. La formation d’associations de victimes relatives à un attentat spécifique témoigne pour les victimes et les familles des décédés de la nécessité absolue de se regrouper et de partager les difficultés psychologiques, juridiques et matérielles qu’ils ont à affronter. Leurs représentants sont devenus aujourd’hui des interlocuteurs indispensables des psychologues et des psychiatres dans l’amélioration des dispositifs psychologiques d’urgence.