Pendant longtemps, la mort a été, avec la sexualité, ce dont on ne parlait pas aux enfants. Ce l’est beaucoup moins en raison du développement de la psychologie avec les enfants. Ainsi sont-ils nombreux à être confrontés à la mort, en tant que témoins. La façon dont la société et la famille dans lesquelles il vit se confronte, en actes et en pensées, à la mort influence l’enfant. La mort peut ainsi être perçue comme une fatalité, un malheur hautement probable, un scandale inacceptable. La mort ne fait plus partie de la vie des sociétés occidentales, à la différence des sociétés traditionnelles où existaient les grandes cérémonies d’initiation des adolescents et leur confrontation à la mort symbolique, les cultes des morts, l’apprivoisement de la mort et de la peur qu’elle inspire. Les familles sont dispersées, la mort a lieu surtout à l’hôpital ou dans une maison de retraite, l’enfant est peu confronté aux fins de vie de ses proches.
Parler de la mort à un enfant
L’enfant représente la vie, le futur, et notre rôle d’adulte est de le protéger, de lui épargner la souffrance et de ne pas projeter sur lui nos propres angoisses de la mort. Annoncer à un enfant la mort d’un être cher ou proche avec qui il avait des liens d’attachement (parent, frère, sœur, grand parent, ami) est toujours douloureux, mais incontournable afin de lui permettre de manifester ses émotions, ses questionnements, ses besoins, ses craintes et ses anxiétés. C’est aussi inclure l’enfant dans la famille et par là même le sécuriser. Cacher la vérité met l’enfant dans l’angoisse, l’insécurité et l’anxiété car il voit bien que ses parents sont perturbés, qu’ils pleurent et qu’ils sont tristes, toujours bouleversés, et l’enfant pourrait croire que c’est à cause de lui. Parler de la mort, que ce soit avec un enfant, un adolescent ou un adulte, suscite toujours des émotions et des peurs et ravive parfois les souvenirs de celles et ceux qui ne sont plus.
Parler de la mort, c’est avant tout parler de la vie
Ce que l’enfant attend de la part de l’adulte, c’est l’authenticité. La gestuelle, le comportement, la mimique ont là, plus encore, valeur de mots qui pourront aussi faire du bien en particulier lorsque l’enfant est confronté à la mort des autres et également de la sienne (souffrant d’une maladie incurable). L’enfant va entendre parler de la mort non seulement auprès des gens qui l’entourent, en particulier sa famille mais aussi à l’école, auprès des camarades et des enseignants.
L’enfant n’attend pas toujours que l’adulte intervienne, il peut aussi vouloir tout simplement exprimer ses pensées. Des questions émergeront plus tard où l’adulte retiendra les dires de l’enfant comme une porte ouverte sur de futurs échanges sur la vie et la mort.
La conceptualisation de la mort chez l’enfant
On reconnaît différentes étapes d’élaboration de la notion de mort étroitement liées aux stades de développement cognitif et psycho-affectif de l’enfant.
Chez le tout jeune enfant, vie et mort sont les figures de présence et absence, disparition et réapparition. Mais l’enfant est sensible aux variations émotionnelles de son proche entourage. Il voit la souffrance physique et psychique et peut se sentir insécurisé. L’enfant va manifester sa souffrance si la séparation dure.
Le bébé jusqu’à 3 ans, est entièrement dépendant de l’adulte d’où sa grande vulnérabilité à l’absence. L’enfant de trois à cinq ans, lors de la perte d’un parent proche, va souvent reposer les mêmes questions.
Jusqu’à 5-6 ans, la mort est réversible et temporaire. La mort est assimilée à un sommeil. C’est la période de la toute-puissance et de la pensée magique, du désir de retour qui peut devenir réalité pour l’enfant. L’enfant reproduit les rites dans ses jeux. Sa croyance en la réversibilité de la mort est réactivée par les jeux vidéo et les films où les héros ne meurent jamais totalement et peuvent revivre indéfiniment, où aussi les méchants meurent toujours. À cet âge, l’enfant se sent très vite coupable croyant que ses paroles et ses rêves peuvent être responsables d’une mort dans son environnement immédiat.
Après 6 ans, la mort est considérée comme l’envers de la vie. La mort est un autre état et les morts sont des individus. L’enfant va se représenter concrètement la mort : le défunt, la tombe, le cimetière, le squelette, il en recherche les causes et s’interroge sur la logique de la mortalité. Dans les causes se retrouvent les interdits qui peuvent être sanctionnés par la mort.
De 8 à 12 ans, il y a une prise de conscience, du caractère d’irréversibilité. On ne peut plus renaître, la mort est le terme définitif à la vie. Chez l’adolescent, la conception de la mort est proche de celle de l’adulte.
Spécificité du processus du deuil chez l’enfant
Vers 6 ans l’enfant commence à réaliser que la mort peut le toucher et concerner ses proches et il acquiert progressivement la notion que la mort est universelle et irréversible : elle est comprise comme un principe général d’évolution qui se déroule selon certaines règles de cessation des fonctions biologiques mais persiste encore la confusion entre la mort et un mort. « Le corps, il se transforme comment pour devenir un squelette ? » ; « Comment on est sûr que le cœur il est bien arrêté ? » ; « Pourquoi il s’arrête de battre le cœur ? » ; « Il y a quoi après, une fois qu’on est mort ? » Quelque soit le visage de la souffrance de l’enfant il faut être disponible et être à l’écoute de ce que vit l’enfant, de ce qu’il ressent pour l’accompagner sans exiger qu’il réagisse comme un adulte.
La clinique de la prise en charge des enfants endeuillés permet alors de constater que le deuil chez l’enfant n’est pas identique au deuil chez l’adulte : l’enfant fait un deuil à sa manière propre en fonction de sa maturité affective, intellectuelle et en fonction de la qualité de ses relations objectales.
Il est nécessaire d’utiliser des mots justes et vrais à propos des événements et des sentiments qui le concernent : être mort ce n’est pas être « endormi » ; ce n’est pas « être parti » ; ce n’est pas « être en voyage » ; ce n’est pas « surveiller du ciel ». Autant de mots, autant d’expressions qui, se voulant apaisants, peuvent au contraire renforcer l’anxiété de l’enfant et indirectement majorer sa culpabilité face à la mort qui vient de se produire.
La mort présentée avec calme et respect donne un sens à la vie. Il n’y a pas de moment idéal pour annoncer la mort à un enfant mais il est souvent souhaitable de prendre du temps pour être en mesure d’être disponible pour l’enfant, de limiter les projections de nos craintes et nos angoisses, d’être cohérent et respectueux de son rythme sans chercher à plaquer nos réactions d’adultes à celles qu’il serait supposé avoir.
Parler de la mort c'est parler des deuils
Parler de la mort, y compris à un âge précoce, est d’abord parler des deuils. Le deuil est une épreuve de maturation majeure dans laquelle il prend conscience de la finitude du sujet humain, de lui-même comme de celle de ses parents ou de ses proches, et conscience aussi que le mort n’entraîne pas les vivants dans la mort, n’arrête pas la vie. Le dialogue aide l’enfant à ne pas être marqué par des situations graves ou déstabilisantes, à ne pas rester enfermé dans le désarroi et les questions troublantes qu’elles provoquent. Les enfants s’intéressent à la mort comme ils s’intéressent à la sexualité. Ce sont des sujets mystérieux dont leurs parents ne parlent pas souvent et sont habituellement mal à l’aise de le faire devant eux et avec eux. Mais ce n’est pas l’avis des enfants qui restent à l’affût. Grandir c’est découvrir et apprendre et les enfants en ont grande envie. C’est à partir de ce qu’ils voient, de ce qu’ils entendent et de ce qu’ils vivent qu’ils apprennent toute chose et c’est ainsi qu’ils font connaissance avec la mort.
Comment répondre aux questions de l’enfant ?
Des non-réponses, des mensonges peuvent être source d’une grande souffrance, d’une véritable douleur morale et d’un profond désespoir chez l’enfant qui perçoit très vite le décalage entre la réalité et ce qu’on lui dit de cette réalité. L’expérience clinique auprès d’enfants endeuillés témoigne de l’importance d’offrir à l’enfant un espace, un temps d’écoute où il pourra parler librement sans craindre de blesser ses proches et dire ouvertement tout ce qu’il ressent, ses peurs, ses interrogations auprès de professionnels aguerris à ce type de prise en charge et familiarisés avec les réactions de souffrance face à la mort.
Quatre points nous paraissent essentiels à dire à l’enfant :
- le corps ne souffre plus une fois qu’on est mort
- lui, n’est pas en danger de mourir (si la mort concerne un de ses proches)
- il n’est pas seul et on va continuer à s’occuper de lui du mieux possible
- l’être décédé ne sera pas oublié et on continuera de l’aimer
L’adieu au mort
A tous les âges, l’adieu se concrétise dans le fait d’aller le voir avant ou au moment de la fermeture du cercueil, de se rendre à ses funérailles et d’aller se recueillir sur sa tombe. Le plus grand nombre des enfants désirent aller dire au revoir à celui qui va mourir et dire aussi au revoir lorsqu’il est mort. Ils l’affirment lorsqu’on leur demande et disent également le regretter lorsqu’ils en ont été empêchés. Les réticences qui sont encore relativement fréquentes viennent des parents et de l’entourage. Dans ces moments difficiles pour tous les membres de la famille les enfants risquent d’être les grands oubliés. Il est facile de les écarter sous prétexte de les protéger. On ne peut pas protéger les enfants de la vie et la mort en fait partie.
Ces gestes d’adieu ont une grande importance pour les enfants. Ils leur permettent d’exprimer une dernière fois leur affection à celui que bientôt ils ne verront plus et ne pourront plus embrasser comme ils aimaient le faire auparavant. Ces gestes leur permettent également de prendre conscience de la réalité de la mort : ils ont bien vu de leurs yeux que l’être aimé était bien mort.
Ces gestes sont naturels : les enfants accompagnent leurs parents qui les entourent, qui restent près d’eux et leur parlent en anticipant tout ce qui peut paraître difficile. Il peut arriver qu’un enfant refuse ; il n’est pas question de le forcer, de l’obliger. Et ce n’est pas parce qu’il n’a pas participé à l’adieu et aux funérailles que son deuil en sera complexifié.
Le déroulement du deuil s’inaugure par un état de choc qui touche la personne dans toutes ses dimensions et surtout affective (la douleur), corporelle (la santé) et sociale (les comportements, les relations avec les autres). Il est plus violent lorsque la mort est inattendue et brutale. Ces deuils violents (accidents, suicides) entraînent la survenue d’un état traumatique qui retarde l’apparition du deuil. Le choc du deuil existe même lorsque la mort a été attendue ce qui a permis de tenter de s’y préparer.
À retenir/ Avant 5 ans, un enfant a encore du mal à comprendre la mort. Vous pouvez partir du cycle de la vie dans la nature pour parler de la mort à votre enfant. Il est préférable de ne pas cacher la réalité et d’utiliser des mots simples que l’enfant peut comprendre.
En guise de conclusion
Exclure l’enfant de la confrontation à la mort, c’est tenter désespérément de se l’approprier et donc de le priver de lui-même. C’est lui refuser son état de sujet, c’est l’expulser du monde des vivants. Quel que soit l’événement traumatique, l’adulte a toujours en face de lui non un corps traumatisé et souffrant mais un enfant, un être humain à part entière, avec sa complexité, sa personnalité et son individualisation. Parler de la mort avec un enfant, l’accompagner dans son travail de deuil, nécessite beaucoup de tact, de délicatesse, de disponibilité, de confiance, d’attention pour lui permettre d’intégrer doucement cette réalité incontournable porteuse de peurs, de projections et de fantasmes.